« il y a pas plus puriste qu’un argotier. Ni plus jaloux. Un argotier trouve toujours plus argotier que lui » , écrivait Raymond Queneau dans « Bâtons, chiffres et lettres ».
De quoi consoler les puristes, tiens. En recherchant le mot puriste sur Google, on constate pourtant le lien étroit du purisme avec la langue et ses règles strictement défendues. On imagine une secte d’académiciens qui décident ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, le défend par maisons d’édition aiguisées comme fer de lance.
Dans la recherche, il n’y a aucune trace évidente des puristes dans la photographie, la cuisine, le sport (!), le jardinage, le brassage de la bière, la randonnée … la liste est longue! Et pourtant ils sont partout, ils gonflent le torse, cherchent les mots quand ils parlent, s’entendent parler et quand le mot suprême (purisme) trouve enfin sa place dans le discours, c’est une explosion d’émotion et de conviction. Comme les templiers, ils sont les défendeurs du juste, unique, ancestral. Heureux élus (par qui?) d’avoir reçu le don de la connaissance profonde, l’héritage absolu. Vieux cons autoproclamés et fiers de l’être, ils emmerdent le système … qui leur échappe en fait.
La vraie question est là : ils sont tellement nombreux que je commence à douter si l’on n’est pas plutôt face à une pensée unique, incapable d’utopie, stérile, qui veut et peut plus prendre des risques. Une pensée limitée à une seule idée (souvent mauvaise) plutôt que d’en chercher mille autres. L’humain est un alchimiste.
Au mot puriste là où les autres entendent tradition, j’entends fermeture, où l’on entend connaissance j’entends limite. On nous a bien enseigné à défendre l’indéfendable, c’est une évidence. Nous avons tous bien appris que là où on n’arrive pas par nos propres moyens, il suffit d’argumenter en tournant la chaussette à l’envers. Et les puristes sont très forts dans cet exercice.
J’ai peur qu’on se limite dans l’expérience, qu’on arrête de chercher à peine l’apprentissage entamé, qu’on se donne la peine de ne pas en avoir, de ne pas approcher le gouffre de l’échec. De ne pas entrevoir nos limites créatives que la société ultraconservatrice et surproductrice a creusées goutte après goutte de savants arguments rassurants. Méfions-nous ! Des préceptes, de l’écologie, de la consommation locale, de la bière artisanale, du jardin potager biodynamique, de la photographie argentique, des règles de l’art, de l’architecture antique, de la pétanque avec de vraies boules, de la saucisse grillée sur les braises et surtout pas sur le gaz, de la marche à la montagne, des disques vinyle, des fraises qui ont un gout de fraise … Nous avons besoin d’utopistes, de libres penseurs, de ceux qui mettent systématiquement à la corbeille tout ce qu’ils créent parce que le meilleur est à venir.
Oublions durant quelques décennies la précision, les sciences exactes, les timings parfaits, l’instant idéal, les idéaux, la démarche instaurée. L’essentiel est le superflu, la plus belle condition humaine est douloureuse dans le besoin de remettre tout en question tout le temps et chercher de nouvelles solutions. Les primitifs avaient déjà compris ça en remplissant les cavernes de graffitis, bien qu’ils avaient très bien saisi comment aiguiser parfaitement une pierre pour en faire une arme de chasse. Tout ce que nous avons à prendre des puristes est le peu qu’ils savent : la technique. Puis le grand travail est à faire : démonter leurs théories, casser leurs règles, démolir leurs convictions, mettre leurs sciences exactes et écrites dans un grand bac rempli d’eau et remuer. Au prix de devoir reconnaitre qu’on a eu tort, ayons tort.
Gabriele Chirienti