Quel est le rapport entre l’Adobe Creative Suite et le vélo électrique?
Il y a une question qui revient cycliquement comme une comète en orbite : un graphiste doit-il savoir dessiner pour être bon?
Dernièrement j’ai vu passer cette question dans la galaxie Linkedin, suite à la réponse donnée aussi sèchement et rapidement qu’un météore, je me permets d’argumenter son contraire, en ajustant quelques paramètres avant de la reformuler :
1.un graphiste est un designer bidimensionnel (et j’inclus les webdesigners!)
2.la question est mal posée
Donc: «Un designer doit-il savoir dessiner pour être efficace, pertinent et rentable?»
Oui. Disons que ça lui évitera de couter inutilement cher, voire d’être un mauvais designer.
Le mot dessin vient du latin delineato-délimité qui est à la racine de limite (par le trait) et projet, intention, plan, propos. Dans la notion de dessin s’expriment donc extériorité (esthétique) et intériorité (sens).
Le rôle du concepteur ne demande pas forcément des capacités de dessinateur affirmé, mais c’est dans la mise en forme primaire et dans la recherche que concevoir par le dessin est essentiel. Dans les croquis si chers aux architectes ou aux stylistes, par exemple, c’est créer un nombre élevé de solutions à partir d’une gestuelle rapide liée à l’intellect, à la culture et à l’idée du projet. Ou simplement s’expliquer.
Il faut impérativement distinguer la capacité de matérialiser une idée, une forme précédemment observée et reconnue, de la possibilité de la finaliser techniquement par des outils informatiques.
La capacité de voir des formes simples toujours à l’origine d’éléments complexes est issue de l’expérience de l’observation et du dessin. Le graphisme se sert de cette connaissance pour revenir à l’essentiel de concepts complexes; le pictogramme et donc le logo sont un exemple parmi d’autres, tout comme la gestion de l’espace pour la conception d’une affiche ou le restyling d’une police d’écriture. Les logiciels sont juste des outils, ni plus ni moins qu’un crayon ou des ciseaux à bois. Ils ne seront jamais LA solution magique du créatif graphique.
Dans les écoles d’art, ce manque de lien entre création et dessin est un vrai souci qui demande beaucoup de travail de récupération. Souvent, les élèves les plus talentueux peinent à élargir leur créativité et partir sur des concepts «extrêmes». Les personnes habituées à dessiner se révèlent souvent d’assidus travailleurs ne comptant pas les heures dans un processus de recherche quelconque. Processus qui, contrairement aux idées reçues d’un monde hyper productif, est un gagne temps important, car plus la recherche est prolifique, plus le sens sera pertinent et plus les temps de réalisation seront courts. La création, la gestion de l’espace et des ressources sont une corrélation étroite entre le mental et le physique (ça me démange d’ajouter «l’esprit» mais restons cartésiens). Ou alors en soutenant le contraire on abuse de concepts précuits et banques d’images qui nous emmènent tout droit vers une communication visuelle au gout de soupe lyophilisée. À chacun sa conscience.
Pour revenir aux liens entre la suite créative Adobe et le e-bike je dirai qu’en pédalant dans une montée sur un vélo électrique vous n’expérimentez qu’une petite partie de ce qu’est une pente. Vous ne savez pas à quel moment il est nécessaire de changer de dérailleurs pour mieux la négocier, vous ne dessinez pas le mouvement par votre propre corps; vous êtes assistés. En créant directement une courbe dans un logiciel vous ne connaissez rien de l’origine de la forme, de son évolution et encore moins de sa fin. Vous serez incapables de la visualiser dans son infini mouvement perpétuel et des figures qu’elle englobe. C’est la notion de l’ellipse, du nombre d’or et des fractales.
Voilà il ne reste plus qu’à prendre avec vous un carnet et un stylo près de votre téléphone et dessiner, dessiner et encore gribouiller pendant que vous blablablottez. Un croquis de Picasso fait durant une conversation téléphonique s’est vendu des millions. Qui sait …
Mais surtout les gens qui redécouvrent le dessin, retrouvent aussi des grands moments de détente, connaissance et intériorité.
Gabriele Chirienti
Carnets de Typographie – Steven Heller & Lolita Talarico – Pyramyd
Géométrie du Design – Kimberly Elam – Eyrolles